L’importance de l’uniformité dans l’exercice de la pharmacie clinique


Peter J Zed

Depuis près de 20 ans, j’exerce le métier de pharmacien clinicien, auquel on m’a formé pour prodiguer des soins pharmaceutiques axés sur la détection, la résolution et la prévention des problèmes pharmacothérapeutiques, pour améliorer l’utilisation des médicaments et pour optimiser les résultats thérapeutiques individuels. En peaufinant mes compétences comme clinicien et en tirant parti de ce que m’ont appris de nombreux mentors au début de ma carrière, j’ai développé un processus systématique et uniforme de prestation de soins aux patients. Cependant, malgré que je sois maintenant plutôt à l’aise avec mon approche et mon processus personnels, j’ai souvent pu observer des incohérences dans notre façon de prodiguer des soins en tant que profession. Je ne veux nullement insinuer que mon processus est le bon ou meilleur que d’autres, mais seulement souligner les différences et les incohérences dans l’approche des soins aux patients et la prestation des services cliniques par notre profession.

Les incohérences dans les processus des soins aux patients sont les plus évidentes lorsque nous comparons la prestation des soins dans différents secteurs de la santé. En revanche, même au sein de la pratique de la pharmacie en établissement, on observe de grandes différences dans le processus de prestation de soins entre les pharmaciens cliniciens et les milieux de soins. Par contre, de telles incohérences ne sont pas aussi évidentes lorsque nous examinons les processus de prestation des soins d’autres professionnels de la santé, comme les médecins et le personnel infirmier. Dans chacune de ces disciplines, l’approche des soins entre les praticiens est plus cohérente, peu importe le milieu. Par exemple, quand on se rend chez le dentiste, il n’y a généralement pas de confusion quant aux soins que le dentiste nous donnera ou à son approche. De même, les patients savent habituellement à quoi s’attendre lorsqu’ils consultent leur médecin de famille pour leur bilan de santé annuel. Même les patients les plus gravement malades et blessés reçoivent des soins cohérents dans le service des urgences, les unités de soins intensifs et les salles d’opération. Pouvons-nous en dire autant de la profession de pharmacien et de ce que nous faisons en tant que professionnels de la santé? Malheureusement, de nombreux patients ne savent pas à quoi s’attendre du pharmacien et, même si je crois que nous donnons des soins de qualité, le problème réside dans le manque d’uniformité dans nos interventions et dans nos interactions avec les patients et les autres professionnels de la santé.

Ce problème m’est apparu encore plus frappant alors que j’ai commencé à examiner plus longuement et attentivement l’évolution de notre profession, en portant une attention plus particulière au rôle changeant du pharmacien clinicien dans les modèles de soins en évolution. Malgré que je sois à l’aise et confiant quant à la qualité des soins que peuvent prodiguer les pharmaciens bien formés, de même qu’au rôle important que nous jouons dans la prestation des soins de santé, je me retrouve souvent à hésiter lorsque je discute de ce que font exactement les pharmaciens cliniciens en termes de prestation de soins et je ne suis pas toujours certain que le processus de prestation de soins sera le même chez tous les patients. De plus, le manque d’uniformité dans la pratique de la profession continue de créer une certaine confusion chez les autres professionnels de la santé, les autorités de réglementation, les gouvernements, les payeurs et, surtout, les patients. Si, en tant que profession, nous ne sommes pas en mesure de définir ce que nous faisons et d’en assurer l’exécution cohérente, comment pouvons-nous espérer que les autres acteurs des soins de santé le comprennent et en apprécient toute la valeur? Même la terminologie utilisée pour décrire nos processus de pratique clinique contribue à cette confusion. Les termes « soins pharmaceutiques », « soins axés sur le patient », « gestion de la pharmacothérapie », « gestion exhaustive de la pharmacothérapie » et d’autres variantes ont-ils tous le même sens ou comportent-ils des nuances importantes? Ces nombreuses strates d’incohérences ont créé d’importants obstacles au succès des services de pharmacie clinique et les diverses pratiques ont provoqué des fractures au sein de notre profession et des variations dans le champ de pratique et dans les modèles de soins prodigués par les pharmaciens.

L’exercice de la pharmacie clinique doit être défini et ses services doivent être fournis de façon à s’appliquer à n’importe quel patient ou à n’importe quel milieu de soins. En outre, le modèle d’exercice doit être directement lié aux connaissances, aux compétences, aux comportements et aux attitudes nécessaires à la prestation par les pharmaciens de soins de haute qualité fondée sur ce modèle.1,2 Le développement d’un tel modèle ne sera pas facile, mais jettera les bases d’une réforme importante de l’enseignement et de la formation en pharmacie, à la fois pour les programmes de premier cycle et ceux d’études supérieures, de même que pour répondre aux besoins et aux attentes des patients et des autres acteurs du système de santé. Cela permettra aussi de mieux positionner la profession afin qu’elle soit reconnue comme un élément central et essentiel de l’équipe de soins de santé. Il ne s’agit pas d’une simple question de terminologie, mais d’une question qui commande une réflexion profonde et des actions déterminées pour résoudre ce problème d’incohérences dans les activités cliniques des pharmaciens. Pouvons-nous continuer à fournir des services qui varient grandement d’un praticien à l’autre? Le réseau de la santé tolérerait-il une infirmière qui aime administrer des médicaments, mais qui décide de ne pas changer des pansements? Le réseau de la santé devrait-il tolérer un pharmacien qui aime faire des calculs pharmacocinétiques, mais qui décide de ne pas participer aux activités entourant le bilan comparatif des médicaments? Les résultats de l’exercice de la pharmacie sont-ils si nébuleux que ce que nous faisons et la manière dont nous le faisons n’ont aucune importance? Par ailleurs, savons-nous quelles activités pharmaceutiques ont une influence sur les résultats thérapeutiques? Si oui, sommes-nous prêts à définir des attentes en matière de pratique fondée sur des données probantes pour les praticiens en pharmacie dans divers milieux et à nous assurer que les pharmaciens respectent ces attentes?

L’exercice de la pharmacie clinique a évolué au cours des deux dernières décennies et nous avons de quoi être très fiers. Cependant, je crois que si nous voulons que la profession de pharmacien passe au niveau suivant au Canada et que les pharmaciens se positionnent comme des éléments essentiels du système de soins de santé, nous devons convenir d’un modèle uniforme d’exercice de la pharmacie clinique et l’utiliser systématiquement. Sans cela, la profession ne saurait réaliser son plein potentiel.

[Traduction par l’éditeur]

Références

1. American College of Clinical Pharmacy. The definition of clinical pharmacy. Pharmacotherapy. 2008;28(6):816–7.
pubmed  

2. American College of Clinical Pharmacy, Burke JM, Miller WA, Spencer AP, Crank CW, Adkins L, Bertch KE, et al. Clinical pharmacist competencies. Pharmacotherapy. 2008;28(6):806–15.
cross-ref  pubmed  


Peter J Zed , B. Sc., B. Sc. (Pharm.), ACPR, Pharm. D., FCSHP, est professeur agrégé et vice-doyen, programme Innovation de la pratique, Faculté des sciences pharmaceutiques, et membre associé, Département de médecine d’urgence, Faculté de médecine, Université de la Colombie-Britannique, Vancouver (Colombie-Britannique). Il est également rédacteur adjoint du JCPH .

Adresse de correspondance : Dr Peter J Zed, Faculty of Pharmaceutical Sciences, University of British Columbia, 2405 Wesbrook Mall, Vancouver (BC) V6T 1Z3, Courriel : peter.zed@ubc.ca

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Divulgation d’intérêts concurrents : Aucun déclaré.


Canadian Journal of Hospital Pharmacy , VOLUME 66 , NUMBER 2 , March-April 2013