Déprescription des inhibiteurs de la pompe à protons


Peter J Zed

La déprescription est un processus planifié et supervisé de réduction de dose ou d’interruption d’un médicament qui pourrait être dommageable ou pourrait ne plus présenter d’avantage pour un patient1. La déprescription diminue la polypharmacie tout en réduisant les risques d’événements indésirables causés par l’utilisation superflue de médicaments. Bien que les stratégies de déprescription doivent être utilisées pour tous les patients, la population cible est souvent celle des personnes âgées à cause des risques plus élevés d’événements indésirables liés aux médicaments auxquels elles sont sujettes.

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont parmi les classes de médicaments les plus couramment prescrits. On les emploie pour traiter une gamme d’indications gastrointestinales, notamment le reflux gastro-œsophagien, l’ulcère gastroduodénal, l’œsophage de Barrett, l’œsophagite et la gastrite. Ils sont aussi utilisés aux fins de protection gastrique pour les patients qui prennent un traitement à long terme d’anti-inflammatoires non stéroïdiens. Bien que les IPP soient une classe de médicaments relativement sécuritaire, leur utilisation comporte certains risques, particulièrement lorsqu’utilisés à long terme. Les risques d’utilisation à long terme d’IPP comptent les fractures, les pneumonies, les infections entériques, l’hypomagnésémie, les néphrites interstitielles aiguës et les carences en vitamine B122. Au cours d’un processus Delphi modifié d’établissement de consensus mené à l’échelle nationale, les IPP ont été choisis comme une classe de médicament cible pour les stratégies de déprescription à cause de leur prévalence élevée d’utilisation et d’abus3.

Le présent numéro du Journal canadien de la pharmacie hospitalière contient trois articles qui mettent en lumière les enjeux actuels entourant les IPP et évaluent les conséquences pour les patients qui se voient prescrire des IPP et ceux qui reçoivent un traitement par IPP à long terme. Chan et collab.4 ont fait une évaluation rétrospective de la pertinence d’une utilisation des IPP chez des patients de centres d’hébergement et de soins de longue durée en Colombie-Britannique4. Ils ont découvert que, parmi 407 ordonnances d’IPP pour 334 patients, 16 % ne s’appuyaient sur aucune des indications larges fondées sur des données probantes définies par les auteurs de l’étude et que 44 % ne reposaient pas sur une indication usuelle fondée sur des données probantes (c.-à-d. le reflux gastro-œsophagien ou l’ulcère gastroduodénal). Doell et collab.5 ont fait une évaluation rétrospective des dossiers médicaux de 147 résidents de centres d’hébergement et de soins de longue durée afin de déterminer s’ils satisfaisaient aux conditions requises pour une déprescription d’IPP. De plus, ils ont évalué les cas de carence en vitamine B12 et les risques de chute dans la population à l’étude. Ils ont découvert que 63 % des résidents remplissaient les conditions requises pour une déprescription d’IPP. Parmi ces résidents, 20 % ne présentaient pas d’indication identifiable motivant l’utilisation d’IPP. Bien qu’aucun lien causal ou aucune conséquence n’aient été établis dans le cadre de cette étude, 9 % des résidents avaient subi une chute au cours des 30 jours précédents et 36 % recevaient des suppléments de vitamine B12 ou présentaient des faibles taux sériques de vitamine B12. Dans la troisième étude, Wan et collab.6 ont décrit la pertinence des ordonnances d’IPP, nouvelles ou renouvelées, dans une population de patients hospitalisés aux services de médecine interne et de médecine familiale. Ils ont aussi évalué les événements indésirables potentiels liés à l’utilisation d’IPP et les effets d’une intervention éducative visant à améliorer les pratiques de prescription. Cette analyse de dossiers médicaux a montré que 36 % des 258 patients n’avaient aucune indication motivant l’utilisation d’IPP. Les pneumonies extra-hospitalières et les infections à Clostridium difficile représentaient les événements indésirables les plus courants potentiellement liés à l’utilisation d’IPP. Finalement, l’enquête des auteurs auprès des professionnels de la santé a montré qu’une formation multidisciplinaire avait amélioré les pratiques de prescription d’IPP chez plus de la moitié des répondants.

Cette importante série d’études, menées auprès de trois populations distinctes de patients, met en lumière la question de la déprescription des IPP et appelle les pharmaciens à jouer un rôle dans l’utilisation pertinente de ces médicaments. Tous les patients, dans tous les milieux, à qui l’on prescrit des IPP et tous ceux qui reçoivent un traitement à long terme d’IPP devraient subir une évaluation afin de déterminer si l’utilisation est pertinente. Des lignes directrices de pratique clinique fondées sur des données probantes publiées récemment peuvent aider les cliniciens à décider quand et comment procéder à la déprescription des IPP7. De plus, une trousse à outils de déprescription des IPP a été mise au point par la campagne Choisir avec soin Canada8. Ensemble, ces ressources sont de précieux outils pour tous les fournisseurs de soins de santé, car elles présentent de l’information sur les indications pertinentes du traitement par IPP et sa durée, sur les risques à long terme de l’utilisation d’un IPP, sur les stratégies pour conscientiser les patients et les fournisseurs de soins de santé et sur des algorithmes détaillés de déprescription. En plus, la boîte à outils de Choisir avec soin Canada offre des mesures du rendement utiles et pratiques que les établissements de santé peuvent utiliser pour évaluer les interventions en lien avec la prescription et la déprescription d’IPP.

Les pharmaciens sont les professionnels de la santé les mieux placés pour faire preuve de leadership en ce qui touche à l’utilisation pertinente de tout médicament. Bien que le présent numéro du Journal se concentre sur la déprescription des IPP, l’on doit toujours chercher les occasions d’optimiser l’utilisation des médicaments et ainsi améliorer les résultats thérapeutiques.

[Traduction par l’éditeur]

References

1 Thompson W, Farrell B. Deprescribing: what it is and what does the evidence tell us? Can J Hosp Pharm. 2013;66(3):201–2.
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2 Maes ML, Fixen DR, Linnebur SA. Adverse effects of proton pump inhibitor use in older adults: a review of the evidence. Ther Adv Drug Saf. 2017;8(9):273–97.
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3 Farrell B, Tsang C, Raman-Wilms L, Irving H, Conklin J, Pottie K. What are the priorities for deprescribing for elderly patients? Capturing the voice of practitioners: a modified Delphi process. PLoS One. 2015;10(4):e0122246.
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4 Chan A, Liang L, Tung ACH, Kinkade A, Tejani AM. Is there a reason for the proton pump inhibitor? An assessment of prescribing for residential care patients in British Columbia. Can J Hosp Pharm. 2018;71(5):295–301.

5 Doell A, Walus A, To J, Bell A. Quantifying candidacy for deprescribing of proton pump inhibitors among long-term care residents. Can J Hosp Pharm. 2018;71(5):302–7.

6 Wan A, Halpape K, Talkhi SC, Dixon C, Dossa H, Tabamo J, et al. Evaluation of prescribing appropriateness and initiatives to improve prescribing of proton pump inhibitors at Vancouver General Hospital. Can J Hosp Pharm. 2018;71(5):308–15.

7 Farrell B, Pottie K, Thompson W, Boghossian T, Pizzola L, Rashid FJ, et al. Deprescribing proton pump inhibitors. Evidence-based clinical practice guideline. Can Fam Physician. 2017;63(5):354–64.
pubmed  pmc  

8 Adieu aux IPP! Outil pour déprescrire les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) en milieu de soins primaires branché au dossier médical électronique. Version 1.2. Choisir avec soin; 2017 Jul. Publié au: https://choisiravecsoin.org/perspective/trousse-outils-adieu-aux-ipp/. Consulté le 16 août 2018.


Peter J Zed, B. Sc., B. Sc. (Pharm.), ACPR, Pharm. D., FCSHP, est professeur titulaire et vice-doyen, programme Innovation de la pratique. Faculté des sciences pharmaceutiques, et membre associé, Département de médecine d’urgence, Faculté de médecine de l’Université de Colombie-Britannique, à Vancouver, en Colombie-Britannique. II est également rédacteur adjoint au Journal canadien de la pharmacie hospitalière

Intérêts concurrents: Aucun déclaré ( Return to Text )


Adresse de correspondance: Dr Peter J. Zed, Faculty of Pharmaceutical Sciences, University of British Columbia, 2405 Wesbrook Mall, Vancouver (BC) V6T 1Z3, Courriel: peter.zed@ubc.ca


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Canadian Journal of Hospital Pharmacy, VOLUME 71, NUMBER 5, September-October 2018