Intendance des opioïdes : Passer du « pourquoi » au « comment “


Glen Brown

Les conséquences désastreuses imposées à la vie des Canadiens par l’administration inappropriée, excessive ou non quantifiée d’opioïdes ont été bien décrites et bien médiatisées au cours de ces dernières années. Ces conséquences préjudiciables dans de multiples facettes de la société ont poussé les parties prenantes à examiner leurs pratiques en matière de délivrance des opioïdes aux Canadiens, y compris à ceux ayant manifestement besoin d’une analgésie adéquate. La Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux (SCPH) a relevé le défi posé par la crise des opioïdes en invitant ses membres à réfléchir aux méthodes par lesquelles les pharmaciens d’hôpitaux canadiens pouvaient contribuer à réduire l’accès involontaire ou inapproprié aux opioïdes et à agir en conséquence. Un éditorial précédent du Journal canadien de la pharmacie hospitalière (JCPH) a souligné le besoin des hôpitaux canadiens et de leur service de pharmacie respectif de passer à la loupe les processus de manipulation des opioïdes et de remédier aux faiblesses qui pourraient faciliter le détournement de médicaments, il soulignait également le besoin de décrire les mécanismes potentiels pour y parvenir.1 La SCPH a préparé un manuel de lignes directrices de 47 pages pour aider les services de pharmacie à protéger leur réseau de distribution de médicaments.2 Le défi consiste maintenant à optimiser la thérapie opioïde pour le traitement de la douleur de chaque patient dans nos institutions et au-delà. Comment identifier les patients pris individuellement, les populations de patients ainsi que les environnements où l’usage des opioïdes est inapproprié, excessif ou propre au détournement?

Un tel examen des pratiques d’intendance des opioïdes au sein de chaque établissement peut sembler être une tâche colossale, mais les ressources permettant d’aider à identifier les patients commencent à être disponibles. Ailleurs dans ce numéro du JCPH, Woods et collab.3 décrivent la mise au point d’un outil visant à identifier les patients qui présenteraient des risques d’effets indésirables découlant des opioïdes dans différentes unités de soins hospitaliers. Ils indiquent que les pharmaciens praticiens ont trouvé que l’outil – qui décrit les facteurs de risque d’issue indésirable résultant des opioïdes et les interventions correspondantes potentielles visant à les réduire – était utile mais potentiellement difficile à intégrer dans la pratique de tous les jours.3 Avec un peu de chance, ces enquêteurs évalueront son impact sur l’utilisation des opioïdes au sein de leur établissement et feront part de leurs découvertes à l’occasion d’un article ultérieur. Il ne s’agit là que d’un exemple d’outils et d’autres ressources qui sont désormais disponibles pour établir ou renforcer un programme de gestion des opioïdes.

La maximisation de l’impact des initiatives d’intendance, nécessite la coordination des cliniciens clés, des administrateurs et du personnel responsable de l’évaluation de la qualité au sein de toutes les institutions ou de tout le système de soins. Deux articles récemment publiés rapportent des discussions approfondies et illustrées d’exemples sur la structure administrative, les disciplines et les tâches recommandées pour effectuer le changement désiré dela culture de l’utilisation des opioïdes dans un environnement de soins de santé.4,5 Les pharmaciens ne devraient pas et ne peuvent pas affronter seuls les problèmes posés par l’intendance des opioïdes. En lieu et place, ils devraient utiliser leur expertise en matière de gestion de la douleur, d’optimisation de la pharmacothérapie et de formation des cliniciens et des patients pour instruire l’ensemble de la communauté des soins sur leur utilisation. Les auteurs de ces deux articles proposent que tout programme d’intendance devrait, le cas échéant, explorer et adopter des méthodes visant à utiliser des analgésiques non opioïdes en première ligne et à établir des processus (pour la sélection, les doses, les durées, les voies d’administration ou l’abandon de médicaments) pour une utilisation optimale de tout traitement opioïde jugé essentiel.4,5

Les stratégies visant à entreprendre des traitements non opioïdes contre la douleur exigent l’accord de toutes les disciplines impliquées dans les soins des patients souffrant de diverses pathologies douloureuses. Les pharmaciens peuvent participer à l’examen des indications et de l’efficacité des produits non opioïdes pour le traitement de pathologies particulières et potentiellement le mener. Grâce à leur évaluation de la documentation publiée et à leur compétence en matière d’enseignement, les pharmaciens sont des contributeurs clés à l’atteinte d’un consensus entre les cliniciens sur l’utilité et l’efficacité du traitement non opioïde.

Les pharmaciens peuvent aussi être des contributeurs clés pour déterminer les méthodes visant à réduire l’exposition des patients aux opioïdes durant leurs interactions avec les établissements de soins de santé. De tels processus pourraient impliquer l’utilisation du système de distribution des pharmacies pour identifier les patients qui reçoivent plus d’un opioïde administré par une même voie. Pour les patients hospitalisés, limiter l’importance des gammes de dosages, limiter à des scénarios particuliers la mise en place de l’administration parentérale et renforcer la vigilance lors de l’administration des préparations à action prolongée (timbres ou formules orales à libération prolongée) sont des exemples de processus que les pharmaciens pourraient utiliser pour réduire le risque associé à toute utilisation obligatoire d’opioïde.6 Autrement, l’examen de la quantité d’opioïde fournie au moment du congé, mené par le pharmacien, pourrait permettre de déterminer les occasions de réduire l’exposition à cette substance, bien que la réussite de cette approche n’ait pas été démontrée dans tous les contextes.7 Un groupe de pharmaciens de Minneapolis (Minnesota) a publié une description approfondie des attentes liées aux examens de tous les traitements opioïdes faits par les pharmaciens au sein de leur établissement.6 Elle peut servir de point de départ fiable pour les pharmaciens canadiens souhaitant déterminer des attentes réalistes.

Les pharmaciens peuvent également influencer l’utilisation des opioïdes au moyen d’activités pédagogiques destinées aux fournisseurs de soins et aux patients. Des chercheurs de London (Ontario) ont démontré que l’instruction donnée aux cliniciens et aux patients, de concert avec des stratégies établies en matière d’analgésiques, pouvait réduire les besoins en matière d’opioïdes des patients ayant subi divers types d’interventions chirurgicales.8,9 Les offres pédagogiques des pharmaciens pourraient couvrir des thèmes tels que l’évaluation de la douleur, les schémas thérapeutiques, l’entreposage et l’élimination sécuritaire des produits stupéfiants.4 L’instruction donnée aux patients ambulatoires concernant l’utilisation appropriée de la naloxone et l’enseignement des méthodes visant à déceler et à résoudre les symptômes de sevrage aux opioïdes sont des domaines supplémentaires qui pourraient tirer profit de l’expertise des pharmaciens.5

Il existe un grand besoin d’interventions et la palette des interventions est vaste. Il est grand temps désormais que les services de pharmacie et les pharmaciens encouragent leurs communautés de soins (hôpitaux ou réseaux de soins de santé) à établir et à mettre en place des stratégies d’intendance efficaces en matière d’opioïdes. Une fois lancées, de telles initiatives ne réussissent que si des processus sont eux aussi définis pour pouvoir mesurer et évaluer en continu l’impact de ces efforts sur l’utilisation des opioïdes.7 Des cliniciens de Houston au Texas ont récemment publié leurs recommandations accompagnées de commentaires d’autres cliniciens. Elles portaient sur 19 indicateurs de qualité qui pourraient être utiles pour mesurer les effets continus et soutenus des activités d’intendance des opioïdes.10 Tous les pharmaciens institutionnels canadiens sont invités à dépasser la discussion sur les avantages potentiels de la mise en place d’actions pour optimiser l’utilisation des opioïdes par leurs patients. Simplement dit, il est temps de passer à l’action. En acquérant de l’expérience dans ce domaine, veillez à mesurer vos réussites et vos échecs et expliquez vos techniques aux autres pour que nous puissions tous apprendre « le comment » de la bonne intendance en matière d’opioïdes.

[Traduction par l’éditeur]

Références

1 Chant C. Détournement et négligence : il est temps d’agir! [éditorial]. J Can Pharm Hosp. 2019;72(3):173–4.

2 Controlled drugs and substances in hospitals and healthcare facilities: guidelines on secure management and diversion prevention. Ottawa (ON): Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux; 2019. Disponible à : https://www.cshp.ca/guidelines. Publié le 26 novembre 2019.

3 Woods B, Legal M, Shalansky S, Mihic T, Ma W. Designing a pharmacist opioid safety and intervention tool. Can J Hosp Pharm. 2020;73(1):7–12.

4 Perrone J, Weiner SG, Nelson LS. Stewarding recovery from the opioid crisis through health system initiatives. West J Emerg Med. 2019;20(2):198–202.
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5 Weiner SG, Price CN, Atalay AJ, Harry EM, Pabo EA, Ratel R, et al. A health system-wide initiative to decrease opioid-related morbidity and mortality. Jt Comm J Qual Patient Saf. 2019;45(1):3–13.
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6 Ghafoor VL, Phelps PK, Pastor J, Meisel S. Transformation of hospital pharmacist opioid stewardship. Hosp Pharm. 2019;54(4):266–73.
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7 Villwock JA, Villwock MR, New J, Ator GA. EMR quantity autopopulation removal on hospital discharge prescribing patterns: implications for opioid stewardship. J Clin Pharm Ther. 2019. DOI: 10.1111/jcpt.13049. [EPUB avant impression.]
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8 Hartford LB, Van Koughnett JAM, Murphy PB, Vogt KN, Hilsden RJ, Clarke CFM, et al. Standardization of outpatient procedure (STOP) narcotics: a prospective non-inferiority study to reduce opioid use in outpatient general surgical procedures. J Am Coll Surg. 2019;228(1):81–8.
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9 Hartford LB, Van Koughnett JAM, Murphy PB, Knowles SA, Wigen RB, Allen LJ, et al. The standardization of outpatient procedure (STOP) narcotics: a prospective health systems intervention to reduce opioid use in ambulatory breast surgery. Ann Surg Oncol. 2019;26(10):3295–304.
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10 Risk E, Swan JT, Cheon O, Colavecchia AC, Bui LN, Kash BA, et al. Quality indicators to measure the effect of opioid stewardship interventions in hospital and emergency department settings. Am J Health Syst Pharm. 2019; 76(4):225–35.
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Glen Brown, PharmD, FCSHP, BCPS(AQ), BCCCP, travaille à la pharmacie de l’Hôpital St Paul à Vancouver (Colombie-Britannique). Il est également rédacteur adjoint du Journal canadien de la pharmacie hospitalière

Conflits d’intérêts: Aucune déclaré. ( Return to Text )


Adresse de correspondance: Dr Glen Brown Pharmacy St Paul’s Hospital 1081 Burrard Street Vancouver BC V6Z 1Y6, Courriel:gbrown@providencehealth.bc.ca

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Canadian Journal of Hospital Pharmacy, VOLUME 73, NUMBER 1, January-February 2020