La sécurité des médicaments – Une priorité sanitaire mondiale


Rebekah Moles

En tant que pharmaciens, nous savons que les médicaments constituent l’intervention la plus répandue en matière de soins de santé. Cependant, à cause de cette utilisation généralisée, les problèmes liés aux médicaments (PLM) sont monnaie courante. Bien que les PLM aient fait l’objet de recherches et aient été catégorisés au cours de ces dernières décennies, aucun véritable consensus portant sur un système de classification n’existe actuellement1. En 1999, la conférence de travail du Pharmaceutical Care Network Europe (PCNE) a élaboré un système de classification des PLM. La septième version, publiée en 2016, intégrait un changement majeur, de telle sorte que la section « Problèmes » de l’outil a été réduite à trois domaines : (1) l’efficacité des traitements — « Il y a un problème (potentiel) lié à l’effet (ou à l’inefficacité) de la pharmacothérapie »; (2) la sécurité des traitements — « Le patient souffre, ou pourrait souffrir, d’un effet iatrogène médicamenteux »; et (3) autre. Ces domaines demeurent dans la présente version de l’outil (version 9, publiée en 2019) (trad. libre)2.

Après la lecture de larges extraits de la littérature consacrée à la sécurité des médicaments, j’en ai conclu qu’il n’existait que deux PLM : « Ça ne fonctionne pas » et « Ça fait mal. » Ce résumé correspond plutôt bien aux définitions du PCNE indiquées ci-dessus2. Souvent, ce que nous estimons être le problème est en fait l’antécédent de l’effet négatif. Par exemple, une « dose trop élevée » et un « prix trop élevé » sont des causes réelles ou potentielles des PLM1.

Ces concepts sont importants, car ils sont au coeur de la sécurité des médicaments. Les véritables PLM ou les effets négatifs de « Ça ne fonctionne pas » ou de « Ça fait mal » découlent souvent de défaillances des personnes et des systèmes. Comprendre pourquoi ces PLM surviennent ou pourraient survenir est important pour prévenir de futurs problèmes liés à la sécurité des médicaments. En tant que professionnels de la santé et chercheurs, nous devons continuellement faire notre possible pour découvrir les causes sous-jacentes des PLM et pour faire le suivi des changements lors de la mise en oeuvre des interventions. Cependant, en dépit de tous nos efforts pour définir des normes, des lignes directrices fondées sur des données probantes et des outils de pratique, nous sommes encore très loin d’avoir des systèmes qui préviendront les PLM à une échelle mondiale, voire même locale.

Les statistiques relatives aux préjudices liés aux médicaments sont alarmantes. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) note que les pratiques dangereuses en matière de médicaments et les erreurs médicamenteuses sont les causes principales des préjudices évitables dans le monde. Ces erreurs médicamenteuses engendrent des coûts annuels de 42 milliards de dollars américains3. En réponse à ces chiffres, l’OMS a annoncé en 2017 son troisième défi mondial en faveur de la sécurité des patients, aussi connu sous le nom de « Une médication sans erreurs »3. Ce défi ainsi que les précédents que doit relever l’OMS visent à améliorer la sécurité des patients, à réduire les risques et à « associer les interventions basées sur des données probantes aux stratégies de mise en oeuvre multimodales. Ils cherche [aussi] à obtenir une mobilisation et un engagement généralisés » (trad. libre)3.

Chaque pays contribue à améliorer l’utilisation sécuritaire des médicaments. Au Canada, les initiatives en la matière proviennent d’organisations, comme l’Institut canadien pour la sécurité des patients (ICSP) et l’Institut pour la sécurité des médicaments aux patients (ISMP). En 2018, l’ICSP a indiqué qu’il serait le fer de lance pour le Canada de la campagne « Une médication sans erreurs » de l’OMS. Les stratégies comprennent l’examen des médicaments, le programme « Cinq questions à poser à propos de vos médicaments » ainsi que des initiatives en matière de gestion des opioïdes pour améliorer la sécurité de leur administration et le traitement approprié de la douleur4.

Dans mon propre pays, la Pharmaceutical Society of Australia (PSA) et la Society of Hospital Pharmacists of Australia ont fait pression sur le gouvernement pour qu’il prenne en considération les problèmes liés aux médicaments. On estime que ceux-ci coûtent chaque année 1,4 milliard de dollars australiens (environ 1,25 milliard de dollars canadiens)5. De plus, les complications dues aux médicaments sont responsables d’environ 25 000 admissions à l’hôpital chaque année et 400 000 visites supplémentaires aux urgences5. Les estimations le plus pessimistes indiquent que 50 % des coûts et des préjudices associés à ces complications sont évitables5.

Le gouvernement australien a récemment répondu qu’il élèverait la sécurité des médicaments au rang de priorité sanitaire nationale6. Dans une déclaration publiée à la fin de 2019, le président du PSA a indiqué que les « pharmaciens sont des experts en matière de médicaments. Il convient de les aider à passer plus de temps […] à la révision des médicaments des patients, à conseiller les membres de l’équipe de soins et à sensibiliser les consommateurs à la sécurité des médicaments. »6 Il semble que, pour améliorer la sécurité des médicaments partout dans le monde, les pharmaciens doivent aller dans tous les endroits où où ils sont utilisés, plutôt que de se limiter aux rôles traditionnels dans la communauté et dans les hôpitaux. De plus, nous devons avoir suffisamment de main d’oeuvre pour fournir à chacun les services appropriés. Il nous faut également chercher à comprendre les causes des PLM au moyen d’études et d’audits, mais aussi rester ouverts pour découvrir les problèmes inhérents au système, afin de tenter des améliorations.

Le vaste sujet de la sécurité des médicaments est intimement lié au Journal canadien de la pharmacie hospitalière (JCPH). Le présent numéro met en lumière des thèmes particulièrement importants liés à la gestion de la douleur et à la pédiatrie, deux domaines dans lesquels on rapporte souvent des problèmes en matière de sécurité des médicaments. La douleur est complexe et difficile à traiter, et de nombreux agents analgésiques ont des marges thérapeutiques très étroites. Le rôle du pharmacien dans la gestion de la douleur s’élargit, comme en témoignent l’étude sur le contrôle des opiacées de Videau et collab.7, celle sur la comparaison des formules topiques d’amitriptyline visant à améliorer l’efficacité clinique en cas de douleur neuropathique signée Shakshuki et collab.8 ainsi que l’enquête portant sur la stabilité de la méthadone de Friciu et collab.9 Ces articles fournissent des données probantes sur la manière d’améliorer la sécurité et l’efficacité des analgésiques, et tous reflètent le travail visant à faire en sorte que les médicaments agissent conformément aux attentes tout en ne nuisant pas aux patients.

Les enfants sont peut-être encore plus vulnérables aux problèmes de sécurité des médicaments à cause de complexités telles que le manque d’essais cliniques et de données portant sur la sécurité, ce qui mène à une utilisation des médicaments non conforme et non approuvée10, ainsi que la nécessité de manipuler les doses avant leur administration11. Ce numéro comporte également des études sur l’utilisation des médicaments en milieu pédiatrique. Caldwell et collab.12 ont réalisé une étude observationnelle décrivant l’utilisation de médicaments sédatifs pour les enfants gravement malades. Vaillancourt et collab.13 décrivent leur audit portant sur l’utilisation du cannabis dans un hôpital pédiatrique. L’étude précédemment citée de Friciu et collab.9 est également pertinente en matière de sécurité médicamenteuse en pédiatrie, car cette formulation de la méthadone est utilisée pour les douleurs aigües et celles dues au cancer chez les enfants. Les audits sont importants, puisqu’ils révèlent les tendances en matière d’utilisation des médicaments et renseignent sur les recherches et les interventions futures, car l’investigation des problèmes, comme la stabilité des médicaments, est également cruciale pour assurer la sécurité des patients.

Ces articles soulignent le rôle que peuvent jouer les pharmaciens pour améliorer la sécurité des médicaments, puisque celle-ci est au coeur de notre profession. Nous devrions nous entraider à commencer à agir localement et à diffuser notre travail à l’échelle mondiale. Nous devons faire notre possible pour diffuser nos travaux au moyen des divers médias et démontrer l’importante contribution que nous apportons à relever ce défi en matière de sécurité. Le JCPH continuera de communiquer les études de nos auteurs relatives à la sécurité des médicaments J’invite chacun de vous à réfléchir à votre rôle de pharmacien, à l’importance de votre contribution pour faire que la sécurité des médicaments soit une priorité sanitaire mondiale ainsi qu’à votre capacité à diminuer les douleurs inutiles. Travaillons ensemble à réduire, voire à éliminer, l’expérience médicamenteuse « néfaste » ou « inopérante» pour les patients.

[Traduction par l’éditeur]

Références

1 Basger BJ, Moles RJ, Chen TF. Development of an aggregated system for classifying causes of drug-related problems. Ann Pharmacother. 2015; 49(4):405–18.
cross-ref  pubmed  

2 Classification for drug related problems. V9.00. Pharmaceutical Care Network Europe; © 2010–2020 [citation du 14 février 2020]. Disponible à : https://www.pcne.org/upload/files/334_PCNE_classification_V9-0.pdf

3 Le troisième défi mondial pour la sécurité des patients de l’OMS : Une médication sans erreurs. Organisation mondiale de la Santé; 2017 [citation du 14 février 2020]. Disponible à : https://www.who.int/patientsafety/medication-safety/en/

4 Médicaments sans préjudice – participation du Canada à un effort mondial visant à réduire les erreurs de médication [communiqué de presse]. Institut canadien pour la sécurité des patients; 14 septembre 2018 [citation du 14 février 2020]. https://www.patientsafetyinstitute.ca/fr/newsalerts/news/pages/medication-without-harm-2018-09-14.aspx

5 Lin R, Semple S, Kalisch Ellett L, Roughead L. Medicine safety: take care. Pharmaceutical Society of Australia; 2019.

6 Medicine safety to be the 10th national health priority area [billet de blogue]. Pharmaceutical Society of Australia; novembre 2019 [citation du 14 février 2020]. Disponible à https://www.psa.org.au/medicine-safety-to-be-the-10th-national-health-priority-area/

7 Videau M, Thibault M, Lebel D, Atkinson S, Bussières JF. Surveillance des substances contrôlées en établissements de santé : une contribution à la gestion de la crise des opioïdes au Canada. J Can Pharm Hosp. 2020; 73(2):116–24.

8 Shakshuki A, Yeung P, Agu RU. Compounded topical amitriptyline for neuropathic pain: in vitro release from compounding bases and potential correlation with clinical efficacy. J Can Pharm Hosp. 2020;73(2):133–40.

9 Friciu MM, Alarie H, Beauchemin M, Forest JM, Leclair G. Stability of methadone hydrochloride for injection in saline solution. J Can Pharm Hosp. 2020;73(2):141–4.

10 Corny J, Bailey B, Lebel D, Bussières JF. Unlicensed and off-label drug use in paediatrics in a mother-child tertiary care hospital. Paediatr Child Health. 2016;21(2):83–7.
cross-ref  pubmed  pmc  

11 Richey RH, Shah UU, Peak M, Craig JV, Ford JL, Barker CE, et al. Manipulation of drugs to achieve the required dose is intrinsic to paediatric practice but is not supported by guidelines or evidence. BMC Pediatr. 2013; 13(1):81.
cross-ref  pubmed  pmc  

12 Caldwell D, Wong J, Duffett M. Sedative medications for critically ill children during and after mechanical ventilation: a retrospective observational study. J Can Pharm Hosp. 2020;73(2):125–32.

13 Vaillancourt R, Moreno M, Pouliot A, Sell E. Cannabis use for therapeutic purposes by children and youth at a tertiary teaching hospital in Canada: a retrospective chart review. J Can Pharm Hosp. 2020;73(2):105–15.


Rebekah Moles, BPharm, DipHospPharm, PhD, GradCertEdStud (Higher Ed), est professeure adjointe à l’École de pharmacie, Faculté de médecine et de la santé à l’Université de Sydney (Sydney), Nouvelle-Galles du Sud (Australie). Elle est également rédactrice adjointe pour le Journal canadien de la pharmacie hospitalière

Conflits d’intérêts: Aucune déclaré. ( Return to Text )


Adresse de correspondance: Dre Rebekah Moles, School of Pharmacy, Faculty of Medicine and Health, The University of Sydney, Pharmacy and Bank Building A15, Sydney, NSW 2006 Australia, Courriel:rebekah.moles@sydney.edu.au

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Canadian Journal of Hospital Pharmacy, VOLUME 73, NUMBER 2, March-April 2020