La pharmacie d’abord


Christine M Bond

DOI: https://doi.org/10.4212/cjhp.3456

Depuis le 1er janvier 2023, les pharmaciens de l’Ontario sont autorisés à prescrire des médicaments pour 13 affections mineures courantes1. Des changements similaires sont prévus en Colombie-Britannique2. Cette décision vise à donner aux pharmaciens les moyens d’utiliser leurs compétences, à améliorer l’accès des patients aux soins et à réduire la charge de travail des médecins de soins primaires et des services d’urgence. Ces objectifs sont admirables, mais pourquoi a-t-il fallu si longtemps?

La variation du champ de pratique des pharmaciens dans les 13 provinces et territoires canadiens est frappante2, particulièrement en ce qui concerne la prescription. Bien que toutes les régions sauf le Nunavut autorisent les pharmaciens à renouveler ou à prolonger les ordonnances pour la continuité des soins, seule l’Alberta permet à un pharmacien d’initier indépendamment une ordonnance pour tout médicament de l’annexe I. Le nombre de problèmes de santé pour lesquels les pharmaciens ontariens peuvent prescrire des médicaments (n = 13) est modeste par rapport à celui de l’Alberta, où ils peuvent le faire pour 58 des 59 problèmes répertoriés dans un tableau comparatif préparé par l’Association des pharmaciens du Canada3. Pourquoi une telle différence?

La pratique de la pharmacie au Canada passe d’une fonction d’approvisionnement technique à un rôle cognitif plus clinique. Cela correspond aux changements de pratiques dans de nombreux autres pays, en particulier dans les pays développés. La variabilité de l’ampleur de ces changements d’un pays à l’autre peut refléter des différences dans la formation en pharmacie, mais ce n’est pas le cas des variations au sein d’un même pays comme le Canada.

Jusqu’à récemment, la séparation générale des fonctions de prescription et de distribution était saluée comme un filet de sécurité important pour les patients, supprimant les conflits d’intérêts potentiels ainsi que la possibilité que des erreurs de prescription ne touchent le patient. Cependant, une évolution vers un plus grand rôle de prescripteur s’est produite progressivement. Bien que le mot « prescrire » soit souvent compris comme « rédiger une ordonnance pour un médicament de l’annexe I devant être délivré par un pharmacien », ces derniers prescrivent depuis de nombreuses années des médicaments en vente libre. La première étape pour accroître leur autorité prescriptive est venue avec la déréglementation de nombreux médicaments auparavant de l’annexe I à la disponibilité en vente libre. Les évaluations ont démontré que cette augmentation constante du nombre de médicaments en vente libre souvent puissants que les pharmaciens peuvent prescrire ou recommander était à la fois sûre et bien acceptée par le public. Ce rôle élargi a entraîné une plus grande sensibilisation du public à l’expertise des pharmaciens en matière de médicaments.

Pour qu’un changement de paradigme fondamental dans le rôle se produise, trois éléments doivent être en place: le besoin du gouvernement, l’acceptabilité de la société et la preuve des bienfaits4, le tout étayé par une aspiration et une expertise professionnelles. Il est donc intéressant de spéculer si la variation existante entre les régions relève des besoins différents d’une province à l’autre ou à une interprétation incohérente des données de recherche. Est-il juste que dans certaines provinces, la population n’ait pas un accès aussi facile aux soins prodigués par les pharmaciens prescripteurs?

D’autres questions viennent à l’esprit, et présentent un programme de recherche passionnant. L’hypothèse décrite ci-dessus est-elle vraie pour le Canada? Dans quelle mesure ces nouveaux rôles sont-ils réellement utilisés dans la pratique? Le public dépend-il désormais plus des médicaments, compte tenu de leur disponibilité accrue auprès des pharmaciens? Des recherches menées au Royaume-Uni ont démontré l’efficience et l’efficacité des régimes d’affections mineures5, mais existe-t-il des éléments probants similaires au Canada? Si non, devrait-il y en avoir, ou peut-on utiliser des éléments probants d’autres juridictions, sans doute similaires, comme point de départ pour adopter de nouvelles politiques provinciales?6 De plus, dans quelle mesure ces nouvelles autorisations sont-elles mises en œuvre dans le secteur hospitalier et quels en sont les avantages? Les pharmaciens sont des experts hautement qualifiés en médecine, et il est juste que leurs compétences soient utilisées au profit de tous les patients. En tant que chefs de file de notre profession, nous devrions exercer des pressions pour que tous les pharmaciens exercent leur plein champ d’exercice6.

Références

1 Skip the doctor, see a pharmacist: 13 conditions you can have treated at an Ontario pharmacy in 2023. CBC News; [cité le 9 janvier 2023]. Disponible à: https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/ontario-pharmacies-prescriptions-1.6698703

2 Pharmacists’ scope of practice in Canada. Association des pharmaciens du Canada; révisé le 3 janvier 2023 [cité le 9 janvier 2023]. Disponible à: https://www.pharmacists.ca/advocacy/scope-of-practice/

3 Common ailment prescribing in Canada [tableau]. Association des pharmaciens du Canada; [cité le 9 janvier 2023]. Disponible à: https://www.pharmacists.ca/cpha-ca/function/utilities/pdf-server.cfm?thefile=/Common_Ailments_English_PDF.pdf

4 Bond C. Pharmacy practice research: evidence and impact. Dans: Babar ZUD, rédacteur. Pharmacy practice research methods. 2e édition. Springer Nature Singapore Pte Ltd; 2020. p. 1–30.

5 Paudyal V, Watson MC, Sach T, Porteous T, Bond CM, Wright D, et al. Are pharmacy-based minor ailment schemes a substitute for other service providers? A systematic review. Br J Gen Pract. 2013;63(612):e472–81.
Crossref  PubMed  PMC  

6 Tsuyuki R, Bond C. The evolution of pharmacy practice research–Part I: Time to implement the evidence. Int J Pharm Pract. 2019; 27(2):109–11.
Crossref  PubMed  


Christine M. Bond, B. Pharm., Ph. D., M. Ed., est professeur émérite, Division des sciences appliquées de la santé, Université d’Aberdeen, Foresterhill, Aberdeen, Écosse. Elle est également rédactrice adjointe du Journal canadien de la pharmacie hospitalière

Conflits d’intérêts: Aucune déclaration. ( Return to Text )


Adresse de correspondance: Professor Christine M Bond, University of Aberdeen, Polwarth Building West Block, Room 1.123, Foresterhill, Aberdeen AB25 2ZD, Écosse, Courriel: c.m.bond@abdn.ac.uk

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Canadian Journal of Hospital Pharmacy, VOLUME 76, NUMBER 2, Spring 2023